LE GOUROU DEMASQUE: L. RON HUBBARD

Chapitre 21: Silence, on tourne - les conspirateurs

" Le crime des accusés est d'une gravité sans précédent. Pas un bâtiment public, pas un bureau, pas un dossier n'était à l'abri de leurs agissements. Pas un individu, pas une organisation qui n'ait été exposé à leurs méprisables conspirations. En guise d'outils de travail, ils usaient d'émetteurs secrets, de codes, de fausses clés, de faux papiers...N'oublions pas que leur fondateur et complice, L Ron Hubbard, a écrit : "La vérité est ce qui est vrai pour vous ", de sorte qu'ils s'estimaient en droit, avec la bénédiction de leur fondateur, de mentir et se parjurer sans scrupule du moment qu'ils le faisaient dans l'intérêt de la Scientologie. (Réquisitoire du ministère public au procès de Mary Sue Hubbard et de ses co-inculpés, Octobre 1978.)

Rien ne fut plus comme avant à l'Olive Tree Ranch après la mort de Quentin. La bonne humeur du Commodore s'évanouit aussi vite qu'elle était apparue et il redevint le tyran vociférant et mal embouché, entouré d'incapables et assiégé d'ennemis, que chacun redoutait. Avec ses cheveux hirsutes, son regard halluciné et sa bouche écumante, il avait réellement l' air d' un fou mais personne n'aurait osé le dire, encore moins le penser : une oscillation un peu forte de l'aiguille de l' électromètre, censée trahir une pensée désobligeante envers lui, suffisait à envoyer le coupable faire un long séjour au RPF, dont toutes les Orgs étaient désormais pourvues. Pendant ce temps, la pauvre Mary Sue se débattait de son mieux dans les décombres de l'Opération Blanc comme neige. Son plus grave problème venait de Michael Meisner, qui perdait patience dans une clandestinité dont il ne voyait pas la fin et critiquait le peu d'empressement de ses supérieurs à le sortir du pétrin où ils l'avaient fourré. Ayant menacé de " déserter " au bout de huit mois de ce régime, il fut immédiatement placé sous bonne garde et, de fugitif, se retrouva prisonnier. Le 20 juin 1977, incarcéré dans une "planque " de Glendale, il parvint à fausser compagnie à ses cerbères et téléphona au FBI en disant qu'il voulait se constituer prisonnier. Deux jours plus tard, le "Bureau du Gardien " reçut une lettre de lui, postée à San Francisco, annonçant qu'il se cachait le temps de réfléchir. Aussitôt informée, Mary Sue estima qu'il était inutile de le rechercher et qu'il vaudrait mieux "trouver le moyen de le neutraliser " s'il décidait de trahir . Il était déjà trop tard : au même moment, Meisner était à Washington en train de décrire en détail aux agents du FBI, muets d'ahurissement, le fonctionnement de l'Opération Blanc comme neige et l'étendue de sa réussite. Le 8 Juillet 1977 à 6 heures du matin, cent trente-quatre agents du FBI armés de barres à mine et de mandats de perquisition firent simultanément irruption dans les locaux de l'Église de scientologie à Washington et à Los Angeles où ils saisirent 48149 documents. L'examen de leur prise allait dévoiler un stupéfiant réseau d'espionnage qui couvrait le territoire entier des États-Unis, jusqu'aux offices les plus élevés du gouvernement. En apprenant la nouvelle, Hubbard eut sa réaction habituelle : le "Bureau du Gardien " grouillait d'ennemis et de traîtres et il ne pouvait plus se fier qu'à ses Messagères; les documents saisis établissant à l'évidence la culpabilité de Mary Sue, il devait sans tarder mettre le plus de distance possible entre sa femme et lui.

Le 15 Juillet, un break Dodge franchit le portail de l'Olive Tree Ranch tous feux éteints et s'engagea sur la route de Palm Springs. Étendu sur la banquette arrière, Hubbard se tenait le ventre en gémissant de douleur. Trois autres personnes avaient pris place dans la voiture : deux Messagères, Diane Reisdorf et Claire Rousseau, et l'un des rarissimes Messagers, Pat Broeker. La voiture fit route vers le nord, obliqua à travers la Sierra Nevada, franchit la frontière de l'État et dépassa Reno pour s'arrê-ter à Sparks, agglomération de maisonnettes mal tenues,de motels et de casinos miteux au bord de la rivière Truckee. Au lever du soleil, les quatre voyageurs s'arrêtèrent dans un motel où ils s'inscrivirent sous de faux noms : Pat et Claire étaient censés être mariés, Diana leur cousine et Hubbard leur "vieil oncle". Pendant que Hubbard restait dans sa chambre du motel, Pat chercha en ville un logement convenablement discret. Il ne tarda pas à le trouver, paya le loyer en liquide, acheta de quoi soutenir un long siège et les quatre fugitifs s'y installèrent peu après. Hubbard resta caché à Sparks jusqu'à fin 1977. Ses communications directes avec le "Bureau du Gardien " comme avec sa famille étant coupées, il se reposait sur ses trois Messagers pour garder le contact avec l'état-major.Ainsi, lorsque le besoin d'argent se fit sentir, Pat Broeker alla rencontrer un émissaire du "Bureau du Gardien " à l' aéroport de Los Angeles, où ils procédèrent à un échange de valises identiques. Broeker regagna Sparks lesté d'un million de dollars, ultérieurement "blanchis" en petites coupures dans les casinos des environs. Pour un homme dont le FBI scrutait les activités, Hubbard affichait une étonnante insouciance. Il faisait de longues promenades presque tous les matins et passait ses après-midis à écrire des scénarios de science-fiction ou de films pour le recrutement et l'édification de nouveaux adeptes. La perspective de devenir metteur en scène lui plaisait infiniment; à soixante-six ans, il n'avait jamais tourné que des films d'amateur mais il en fallait davantage que son âge et son manque d'expérience pour le faire reculer. Peu après Noël 1977, informé à Sparks que ses risques d'inculpation à la suite du raid du FBI étaient faibles, le Commodore décida de regagner La Quinta. Il restait cependant un problème à régler : Mary Sue étant vraisemblablement sous surveillance du FBI, elle devrait quitter le ranch. Hubbard y revint le 2 Janvier 1978 et passa plusieurs heures enfermé avec Mary Sue. Nul ne sut ce qu'ils se dirent à cette occasion, mais Mary Sue partit ce soir-là auvolant de sa BMW. Le lendemain, Hubbard envoya Doreen Smith à Los Angeles aider Mary Sue à chercher un logement. Le retour du Commodore entraîna un renforcement des mesures de sécurité. Des gardes munis de walkies talkies patrouillaient jour et nuit la propriété. En cas dedanger, un bouton spécial du walkie-talkie déclenchait des sirènes dans toute la propriété. Une Dodge Dart, au moteur gonflé et au réservoir toujours plein, était garée derrière la maison pour assurer une fuite précipitée. Pendant ce temps, abrité derrière cet écran, Hubbard faisait installer une véritable unité de production cinématographique. Il acheta les ranchs voisins et fit construire un studio équipé de projecteurs, de caméras et de tout le matériel technique nécessaire. On le vit bientôt affublé d'un chapeau de cow-boy, de larges bretelles et d'un foulard autour du cou, accessoires lui donnant, croyait-il, une allure "artistique " digne de son nouveau personnage. La "Ciné Org " fit ses premières armes avec des films simplistes illustrant les bienfaits de la Scientologie dans diverses situations. Hubbard écrivait les scénarios, savait exactement ce qu'il voulait et écumait de rage en constatant combien il était difficile de transcrire ses idées sur la pellicule. A la tête d'une armée d' amateurs qui se démenaient de leur mieux, il n'était jamais satisfait de rien : quand les acteurs savaient leurs répliques, l'éclairage était mauvais; si l'éclairage était bon, le son ne l'était pas; si le son était satisfaisant, les décors étaient fautifs. L'humeur du Commodore empirait de jour en jour et sonvocabulaire atteignait les sommets de la grossièreté. En dépit des efforts désespérés de toute l'équipe, ces films n'avaient aucune chance de remporter la moindre nomination aux Oscars. Le coeur du problème, comme le reconnaîtront plus tard Kima Douglas et Gerry Armstrong, bombardé chef décorateur à son corps défendant, se trouvait dans la nullité crasse des scénarios. Quant au fidèle Jim Dincalci, désormais convaincu qu'Hubbardétait sérieusement déséquilibré, il demanda à être relevé de ses fonctions et se trouva frappé d'ostracisme : "Pendant deux mois, Hubbard a fait comme si je n'existais pas. Le matin, en arrivant sur le plateau, il disait bonjour à tout le monde et m'ignorait délibérément. "

Dincalci avaitaussi perdu la foi dans les récits que faisait Hubbard de ses vies antérieures depuis qu'un de ses amis lui avait dit avoir lu mot à mot dans un livre une histoire racontée la veille par Hubbard. Plongé dans ses "créations " , Hubbard s'intéressait peu à ce que devenait Mary Sue surtout, à vrai dire, parce que les Messagères censuraient son courrier pour lui éviter des motifs de contrariété. Bien entendu, elles lisaient l'intégralité des lettres de Mary Sue avant d'en donner à Hubbard la version expurgée. Dans l'une d'elles, MarySue se plaignait que Ron passât tant de temps avec "ses gens " et si peu avec elle : " Je comprends que tu t'efforces de sauver le monde, écrivait-elle, mais moi aussi j' aibesoin de toi. La phrase fit bientôt le tour de l'Olive Tree Ranch. Mary Sue avait de bonnes raisons de se plaindre de son sort, car il devenait de jour en jour plus évident qu'elle serait seule à payer les pots cassés de l'Opération Blanc comme neige. "Hubbard l'a purement et simplement laissée tomber, se souvient Ken Urquhart, et il a fait savoir dans toutes les Orgs qu'il se dissociait d'elle ". De tous ses torts, c'est pour moi le moins excusable laisser sa femme aller en prison pour quelque chose dont il était au moins aussi coupable qu'elle.

Après la descente du FBI, j'étais chargé de trafiquer de faux rapports prouvant qu'il n'était aucourant de rien alors qu'en réalité il en savait davantage que Mary Sue elle-même. "

"Le 15 Août 1978, un "grand jury " fédéral de Washington inculpa neuf scientologues de vingt-huit chefs d'accusation, allant du vol de documents officiels et de cambriolage avec effraction à complicité et recel, faux témoignages, entrave à la justice, etc Mary Sue, qui ouvrait la liste, risquait un total de 175 ans de prison et 40 000 dollars d' amende.

Les neuf inculpés comparurent devant une Cour fédérale le 29 Août et plaidèrent non coupables.Quelques jours plus tard, pendant un tournage en extérieur dans le désert, Hubbard eut une congestion. "Il faisait entre 35° C et 40° C à l'ombre, se souvient Kima Douglas, le vieux se démenait, s'époumonnait l'écume auxlèvres et je me disais qu'il ne tiendrait pas longtemps. Quand il est revenu dans sa caravane... son pouls était très irrégulier, sa tension trop élevée... J'ai tout de suite voulu l'emmener à l'hôpital, mais il m'a empoigné le bras en disant : , Cette fois-ci, non. ",

Hubbard fut ramené au ranch dans un état semi comateux; un médecin scientologue convoqué d'urgence de Los Angeles ne parvint pas à diagnostiquer ce dont souffrait le Commodore Hubbard avait toujours dit qu'il tombait malade quand ses ennemis le bombardaient de " mauvaises énergies " sortauquel devaient s' attendre tous les Sauveurs, ajoutait-il avec un haussement d'épaules fataliste.

Seul l' auditing permettrait d'exorciser ces énergies mauvaises : David Mayo, premier " Superviseur de cas "à Clearwater, ignorait ce qu'on attendait de lui quand un télex top secret lui enjoignit l'ordre de sauter dans le premier avion pour Los Angeles, sans même lui laisser le temps de prévenir sa femme A l'arrivée, un scientologue l'enfourna dans une voiture qui démarra en trombe Une demi-heure plus tard, on le fit changer de voiture et on lui banda les yeux. A ses demandes réitérées, le chauffeur daigna enfin répondre qu'on l'emmenait auprès de LRH, qui était malade.

L' aspect du Commodore le bouleversa : " Il était très mal en point et parlait avec peine. Denk [le médecinscientologue] m'a dit qu'il était à l'article de la mort et qu'il l'aurait emmené à l'hôpital s'il n'avait craint que le trajet en ambulance ne l'achève. C'était à moi de résoudre le problème et j'ai commencé à l'auditer le lendemain.

Hubbard récupéra peu à peu, administrant ainsi à tous la preuve de l'efficacité miraculeuse de l'auditing à tous sauf à son auditeur. Car Mayo était profondément troublé par ce qu'il découvrait pendant ces séances quotidiennes :"Il révélait sur lui-même et sur son passé des choses absolument contraires à presque tout ce qu'on nous avait dit. Je me moquais de ce qu'il avait fait pendant la guerre, je n'étais pas devenu scientologue parce qu'il était ou non un héros, mais j'étais angoissé de découvrir que ses véritables intentions étaient à l'inverse de celles qu'il professait : Ainsi, je voyais ses Messagères lui apporter des valises pleines de billets de 100 dollars alors qu'il avait toujours dit et écrit que la Scientologie ne lui avait jamais rapporté un sou... Je ne lui reprochais pas de gagner de l'argent ou d'avoir de la fortune, j'estimais au contraire qu'il méritait la récompense de ses actions extraordinaires... Mais pourquoi fallait-il qu'il mente à ce sujet ?. Et puis, j'ai commencé à prendre conscience qu'il n'agissait nullement pour le bien de l'humanité - peut-être en avait-il eu l'ambition au début mais ce n'était plus du tout le cas. Un jour que nous parlions des cours de l'or ou de quelque chose de ce genre, il m'a dit avec une parfaite conviction qu'il était obsédé par une soif insatiable pour l' argent et le pouvoir. Je ne l'oublierai jamais et je le cite textuellement : "Une soif insatiable pour l' argent et le pouvoir"

Remis sur pied vers la mi-octobre, Hubbard reprit aussitôt ses tournages et retrouva, du même coup, ses crises de rage, ses bordées de jurons et ses méthodes de dictateur. " Son incapacité à obtenir des autres ce qu'il voulait était sans doute une des principales causes de sa maladie ", se souvient Mayo, contraint de rester au ranch pour devenir acteur. Dans ces conditions, les condamnations au RPF pleuvaient sur les infortunés cinéastes de la "Ciné Org ". Le Commodore mit à profit cette main d'oeuvre docile, abondante et peu coûteuse : les condamnés n' avaient en effet droit qu'au salaire de 4 dollars par semaine pour lui faire exécuter les travaux de rénovation d'une propriété récemment acquise dont il comptait faire sa résidence d'été.

Station thermale désaffectée à une soixantaine de kilomètres de La Quinta entre Riverside et Palm Springs, Gilman Hot Springs s'étendait sur une vingtaine d'hectares. On y trouvait un terrain de golf jaunissant, un motel délabré et une collection disparate de bâtiments plus ou moins en ruine, le tout acheté pour 2 700 000 dollars cash par une association portant le nom rassurant de Scottish Highland Quietude Club. Sans y avoir jeté un seul coup d'oeil, Hubbard déclara vouloir s'installer dans une des maisons de l'endroit, que les forçats du RPF s' évertuèrent à retaper de leur mieux. Il s' agissait au moins pour eux d'un honnête labeur, mille fois préférable au stress continuel et à l'hystérie de la Ciné Org qui employait alors plus de cent cinquante personnes.

Comme tant d'entreprises hubbardiennes, la Ciné Org allait sombrer dans une mélange de mélodrame et de farce. Ernie et Adele Hartwell, anciens danseurs de Las Vegas et scientologues néophytes qui s'y étaient engagés dans l' espoir vite déçu d' être lancés dans le show-business, avaient réussi à reprendre leur liberté fin1978 et étaient retournés à Las Vegas. Ernie Hartwell n'était pas homme à chercher les ennuis, mais il soupçonnait l'Église de vouloir récupérer Adèle et briser ainsi son ménage.

Ancien marin, vétéran des coulisses de casinos, il ne mâchait pas ses mots et ne se laissait pas impressionner par des " gamins en uniformes d'opérette", comme il décrivait les scientologues. Il les menaça donc, s'ils s'obstinaient à vouloir convertir son épouse, d'aller raconter au FBI tout ce qu'il savait peu de choses, à vrai dire, sauf qu'il détenait le secret le mieux gardé de la Scientologie : le lieu exact de la retraite du Commodore. Ed Walters, l'agent ayant déjà réglé avec succès le suicide de Quentin,fut immédiatement chargé de " régler le problème Hartwell qu'il entraîna au "Bureau du Gardien ". C'est là que les choses se gâtèrent. Outré de la suffisance des " jeunots qui menaçaient Hartwell de représailles et le traitaient de menteur, alors qu'il répondait avec une évidente sincérité à leur interrogatoire, Walters téléphona à tous ses amis scientologues, et notamment à Arthur Maren, pour les prier d'intervenir afin de laisser le ménage Hartwell tranquille. Maren se précipita à Las Vegas supplier à son tour Walters de ne plus se mêler de rien. Scandalisé, Walters se renditcompte que Maren, un des plus hauts dignitaires del'Église, était terrifié par les "gamins en uniformes d'opérette " . Un déclic se fit en lui et, le lendemain, il contactal e FBI.L'alarme était déjà déclenchée à l'Olive Tree Ranch, où on avait vu un inconnu prendre des photos de la propriété. Fidèle à ses habitudes, Hubbard chercha immédiatement son salut dans la fuite. Le véhicule choisi était, cette fois, un van Dodge aux vitres opacifiées, pourvu d'une couchette, d'une radio CB et d'une chaîne stéréo. Hubbard désigna Kima et Mike Douglas pour l'accompagner. Ils démarrèrent à la nuit tombante, le Commodore couché à l'abri des regards et en proie à son hystérie habituelle : " Dans les montagnes de San Jacinto, se souvient Kima, il a passé son temps à pousser Mike à accélérer tout en se plaignant d'avoir mal au coeur. On négociait déjà les virages à des allures folles, mais il répétait sans arrêt, " Plus vite! Plus vite!"

Les Douglas laissèrent Hubbard dans un motel isolé sur le versant ouest des montagnes et partirent à la recherche d'une nouvelle "base secrète " . Ils finirent par trouver à louer plusieurs appartements adjacents dans un immeuble neuf de Hemet, la petite ville voisine, où Hubbard s'installa fin mars 79 avec un effectif réduit de Messagères.

Paisible bourgade agricole cernée de vergers d' agrumes, Hemet constituait à bien des égards une cachette idéale. On y voyait une banque, une maison de retraite, une église. La nouvelle " base " du Commodore se trouvait juste derrière la clinique d'acupuncture du Dr Lee, à côté d'un supermarché et d'un Mc Donald's. C'est dans ce cadre bucolique que fut mis en place un incroyable réseau de protection autour d'un homme dont nul n' avaitl e droit de prononcer le nom. Le lieu n'était connu que sous le code " X " ; la " résidence d'été " de Gilman HotSprings n'était distante que d'une vingtaine de kilomètres mais personne ne pouvait faire le trajet direct : Douglas, l'un des rares autorisé à s'y rendre régulièrement, devait parcourir quelque 150 kilomètres dans chaque sens.

L' appartement était équipé d'un système élaboré de sonnettes d'alarme et de clignotants rouges. Quant aux Messagers et collaborateurs résidant sur place, ils devaient bien entendu déclarer tout ignorer d'un certain L. Ron Hubbard et conserver un comportement normal s'il fallait évacuer le Commodore par une porte dérobée en cas d'alerte sérieuse. Une fois la sécurité en place, Hubbard se détendit et entreprit de profiter de la vie. S'il lui arrivait encore de jeter sa nourriture sur les murs en accusant le cuisinier de vouloir l'empoisonner, son humeur s'était notablement adoucie depuis qu'il ne faisait plus de cinéma. Levé vers midi, il s' auditait lui-même une heure ou deux avant de s'occuper du courrier que les Messagères avaient décidé de lui soumettre. L'après-midi, il enregistrait des conférences et, le soir, il regardait la télévision ou égrenait sessouvenirs devant un auditoire restreint mais attentif.

Au bout de quelques semaines, Hubbard s'enhardit à sortir dans les rues de Hemet, chaque fois sous un déguisement différent qui le faisait remarquer plutôt que de lefaire passer inaperçu. Il connaissait si peu l' Amérique contemporaine que les supermarchés et les centres commerciaux lui apparaissaient comme demerveilleuses innovations, où il passait des heures à acheter des babioles en plastique. Mais s'il dépensait peu dans la vie courante,il investissait des sommes énormes en titres, en or et en pierres précieuses. Mike Douglas, promu son " directeur financier ", gérait un portefeuille boursier de plusieurs millions de dollars. Les coffres de l'appartement et de la banque locale étaient bourrés de pièces d'or et de diamants. Pendant l'été 79, Hubbard s'intéressa de près aux manoeuvres des avocats qui s' efforçaient d' éviter à Mary Sue et à ses co-inculpés de passer en jugement. Devant ses compagnons de retraite, il ne faisait pas mystère de son intention de se séparer définitivement de sa femme; il affirmait n' avoir jamais été au courant de ce qu'elle faisait et se plaignait amèrement d' être entraîné par sa faute dans des problèmes dont elle était seule responsable. Tout le monde savait pertinemment qu'il mentait mais ne disait rien.

David Mayo fut dépêché à Los Angeles auprès de MarySue pour la convaincre d' accepter le divorce. "Elle en a été ulcérée, se souvient-il, au point que j'ai cru qu'elle allait me gifler. J' ai dû y retourner plusieurs fois par la suite pour m'assurer qu'elle ne le dénoncerait pas, car LRH s'inquiétait surtout qu'elle révèle au cours du procès qu'elle ne faisait qu'exécuter ses ordres. Elle l'avait déjà si souvent couvert, elle avait eu tant d'autres occasions de le trahir qu'elle ne comprenait pas qu'il puisse envisager une chose pareille. Nullement convaincu de pouvoir faire confiance à sa femme, Hubbard prit le risque de la rencontrer à Gilman Hot Springs. Pendant qu'il s'y rendait avec un luxe de précautions, Kima Douglas alla chercher Mary Sue dans un hôtel de Riverside, où elle avait reçu l'ordre d'attendre, et lui fit parcourir un périple compliqué destiné à la désorienter. La rencontre s'étant déroulée sans témoins, nul ne sut ce que se dirent les époux, que personne ne vit non plus quitter les lieux. On sait seulement que Mary Sue ne trahit pas son mari elle n'en avaitd'ailleurs jamais eu l'intention. Le procès, d' abord fixé au 24 Septembre, fut ajourné d'un commun accord entre les avocats de la défense et ceux du ministère public qui négociaient un compromis.

Celui-ci fut finalement conclu le 8 Octobre, au prix d'étranges libertés avec la jurisprudence et les règles de la procédure : afin d'éviter un long procès, les accusés acceptaient de plaider coupable sur un chef d'inculpation chacun selon les réquisitions écrites du ministère public.

Le 26 Octobre, le juge fédéral Charles R. Richey déclara en conséquence les neuf accusés coupables d'un chef d'inculpation chacun. Mary Sue et deux scientologues furent condamnés à 10 000 dollars d' amende et cinq ans de prison, les autres à la même amende et à des peines de prison allant de un à quatre ans. En signifiant sa sentenceà Mary Sue, le juge déclara : " Nous avons aux États-Unis un précieux système de gouvernement... Quiconque se sert de ces lois ou cherche, sous couvert de ces lois, à saper les fondements mêmes du système est inexcusable et ne peut être absout par aucun citoyen responsable. Tous les condamnés déclarèrent leur intention d'interjeter appel sous prétexte que les preuves obtenues contre eux l'avaient été illégalement. Les avocats de la Scientologie espéraient aussi que les documents saisis par le FBI resteraient sous scellés. Or, le 23 novembre, la Cour d' appel ordonna la levée des scellés et rendit de ce fait les documents publics pour la plus grande joie de la presse écrite et audiovisuelle, qui pouvait ainsi démonter les incroyables rouages de l'Opération Blanc comme neige et donner au public un aperçu du monde inquiétant et secret de l'Église de scientologie.

Devant les campagnes de presse qui le couvraient d'opprobre d'un bout à l'autre des États-Unis, Hubbard devint de plus en plus soupçonneux et obsédé de sécurité. Ayant fini par se demander ce qu'ils faisaient à Hemet, Kima et Mike Douglas avaient "déserté " peu auparavant et le départ de ces deux "bras droits " , sur lesquels il se reposait depuis si longtemps, attisa sa méfiance envers la loyauté de son entourage. Il ne garda sa confiance qu'à Pat Broeker, qui l'avait accompagné dans sa fuite à Sparks, et à sa femme Annie, elle aussi Messagère. Flattés de se voir promus confidents du Commodore, les Broeker lui vouèrent désormais une fidélité aveugle.

Hubbard n'avait jamais brillé par son sens des réalités; les événements semblent l'avoir plongé plus profondément encore dans le monde de sa fantaisie. C'est ainsi qu'il ordonna de lui chercher une nouvelle maison aux environs de Hemet. Elle devait, se souvient un de ses derniers fidèles, se trouver dans "une zone sans Noirs et sans poussière, être facile à défendre, sans éminences la dominant et bâtie sur le rocher . Elle devait également être entourée d'un mur élevé "percé de meurtrières"

A fin Février 1980, quelques jours avant son soixante-neuvième anniversaire, Hubbard disparut en compagnie d' Annie et de Pat Broeker. Personne n' allait jamais plus le revoir.


Return to Index